Jeunes enfants et écrans multimédias

12 avril 2018

Par Shannon Lockhart, spécialiste HighScope de la petite enfance

Dans un monde hautement axé sur la technologie, l’exposition au «temps d’écran» des poupons et des trottineurs est un sujet brulant d’actualité. En tant qu’éducatrices, nous pouvons parfois sentir de la pression venant de parents qui utilisent ces écrans multimédias avec leurs enfants à la maison et qui aimeraient que nous soutenions l’acquisition de ces habiletés technologiques qui seront nécessaires plus tard.

Deux bambins passent du temps devant l'écran d'une tablette électronique.

Photo par Jelleke Vanooteghem

Mais nous savons que les écrans multimédias ne sont pas tous bons pour la santé des enfants. L’Académie américaine de pédiatrie (AAP) constate que l’exposition de très jeunes enfants aux écrans multimédias peut avoir des effets à long terme sur leur apprentissage. La Société canadienne de pédiatrie recommande qu’aucun enfant âgé de moins de 2 ans soit exposé aux écrans et que le temps d’écrans pour les enfants de 2 ans et plus soit limité à un maximum d’une heure par jour.

Dans cet article, nous regarderons le temps d’écran à partir de la perspective du développement des poupons et les trottineurs, afin de pouvoir prendre des décisions intentionnelles sur ce qui convient le mieux aux enfants et d’apporter du soutien aux parents en proposant de saines alternatives aux écrans multimédias.

Définition du temps d'écran

Premièrement, nous devons définir ce qu’est le temps d’écran ou les écrans multimédias et examiner les conséquences des écrans dans notre société en ce qui concerne les poupons et les trottineurs. La définition du temps d’écran ou des écrans multimédias représente toutes les périodes de temps passées devant la télévision, le vidéo, les jeux vidéo, les ordinateurs, les jeux vidéo portatifs, les cellulaires, les téléphones intelligents ou tout autre dispositif de type tablette. La plupart des parents, éducatrices et professionnels de la santé conviennent que les écrans multimédias ont un effet considérable sur le développement et l’apprentissage des enfants, qu’il s’agisse d’effets positifs ou négatifs.

Selon un rapport récent du Common Sense Media intitulé « De zéro à huit ans : l’usage des multimédias en Amérique en 2013 » :  « la seule façon de maximiser l’impact positif des multimédias sur les enfants est d’avoir une compréhension précise du rôle qu’ils jouent dans leur vie, soit quelle plateforme technologique ils utilisent, avec quelles activités ou quel contenu ils sont en contact et comment varient leurs habitudes d’utilisation des médias dépendamment de leur âge, leur sexe ou leur statut socioéconomique. » (Rideout, 2013)

Description de l’usage des écrans chez les jeunes enfants

Alors, à quoi ressemble l’usage des écrans multimédias pour les poupons ou les trot­tineurs? Voici les découvertes basées sur les recherches menées par le Common Sense Media plus précisément pour ce groupe d’âge.

  • « Les enfants de moins de 2 ans consacrent une moyenne de 58 minutes par jour devant des écrans multimédias, dont 44 minutes à regarder la télévision. »
  • « Les enfants de 2 à 5 ans consacrent une moyenne d’une heure 58 minutes par jour devant des écrans multimédias. Une heure et 4 minutes de ce temps est passé devant la télévision. »
  • « 16 % des enfants de moins de deux ans et 37 % des enfants de deux à quatre ans ont un téléviseur dans leur chambre. »
  • « 40 % des enfants de la naissance à un an et 76 % des enfants de 2 ans à 4 ans regardent ce qui est qualifié d’émissions éducatives, tel que Sesame Street, Mythbusters ou d’autres de ce genre. »
  • « L’usage de multimédias portables débute à un très jeune âge. »
  • 38 % des enfants de moins de deux ans utilisent un appareil por­tatif pour pratiquer une forme d’activité multimédia. En 2011, ceci était pratiqué par 10 % des enfants.
  • Pour les enfants de 2 à 4 ans, l’usage d’appareils portatifs a passé de 39 % en 2011 à 80 % en 2013.
  • Les jeux vidéo de poches sont les appareils portatifs les plus communément utilisés (63 %).
  • Les parents d’enfants de 0 à 8 ans déclarent utiliser les multimédias pour occuper leurs enfants lorsqu’ils font des courses avec eux (souvent 23 % et parfois 80 %) et lorsqu’ils font des tâches ménagères (souvent 13 % et parfois 42%). (Rideout, 2013)

Le temps d’écran : les enfants de la naissance à l’âge de 8 ans

Voici quelques découvertes générales du rapport de recherche fait par le Common Sense Media:

  • «Le temps d’écran est passé de 2 heures 16 minutes en 2011 à une heure 55 minutes en 2015. 50 % de ce temps est passé devant la télévision.
  • « Le temps passé devant la télévision domine toujours en ce qui a trait aux enfants, avec une moyenne d’une heure par jour (57 minutes), contrairement aux autres écrans multimédias.
  • Les enfants ont accès à une variété de services pour visionner des films ou la
    télé, mais la majorité des visionnements se font encore avec l’usage de la télévision.
  • « 36 % des enfants ont un téléviseur dans leur chambre. La raison la plus évoquée est de vouloir libérer les téléviseurs pour l’usage des autres membres de la famille.
  • « L’accessibilité d’un type quelconque d’appareil mobile est passé de 52 % en 2011 à
    75 %, pour les enfants de moins de 8 ans.
  • « L’usage des appareils mobiles pour jouer à des jeux, visionner des vidéos ou utiliser des applications, est passé de 38 % en 2011 à 72 %, pour les enfants âgés de 8 ans et moins.
  •  « Le nombre d’enfants utilisant les appareils mobiles sur une base quotidienne a plus que doublé, passant de 8 % en 2011 à 17 % en 2015.
  • « L’usage moyen des multimédias mobiles a passé de 43 minutes en 2011 à une heure et 7 minutes en 2013.
  • « 50 % des enfants de la naissance à 8 ans utilisent des applications multimédias mobiles, comparativement à 16 % en 2011.
  • « L’accès aux appareils mobiles parmi les familles défavorisées et minoritaires a augmenté (est passé de 27 % à 51 %), mais il y a toujours un écart marqué entre les familles défavorisées et les mieux nanties.

(Rideout, 2013)

L’interprétation de la recherche

Alors, que signifient ces résultats en ce qui a trait au développement des poupons et trottineurs et que devrions-­nous faire avec ces derniers dans nos milieux? De plus en plus d’études démontrent que l’usage excessif des multimédias entraine des problèmes d’attention, des difficultés à l’école, des troubles du sommeil et de l’alimentation incluant l’obésité. Tel que noté dans les études mentionnées ci­-dessus, les enfants ne sont pas seulement exposés aux multimédias à un âge de plus en plus jeune, mais en font l’usage pour de plus longues périodes de temps. Selon le Boston University Medical Center, les multimédias « pourraient interférer avec le développement de l’empathie et des habiletés à résoudre des problèmes et des conflits sociaux typiquement acquis en explorant, en jouant librement et en interagissant avec leurs pairs » (Boston Univer­sity Medical Center, janvier 2015).

Les jeunes enfants ont besoin d’être activement impliqués dans leur apprentissage, soit intellectuellement et physique­ ment. Selon le Boston University Medical Center, les chercheurs ont découvert que les enfants âgés de moins de 30 mois n’appren­nent pas aussi bien en regardant la télévision ou les vidéos qu’en interagissant réellement avec des personnes et du matériel. Il est plus difficile à dire avec certitude si ceci est exact en ce qui con­ cerne les applications interactives. Cependant « les recherches antérieures indiquent que les multimédias interactifs, tels que les livres électroniques et les logiciels pour apprendre à lire peuvent être utiles pour l’apprentissage du vocabulaire et de la compréhension, mais seulement avec les enfants d’âge préscolaire et scolaire ». (Boston University Medical Center, janvier 2015).

La sédentarité excessive et le temps d’écran passif ont des conséquences négatives sur le développement des enfants. Il est extrêmement important de mentionner que le développement du langage est l’un des domaines qui est affecté puisque les poupons et les trottineurs sont précisément dans la phase où ils cimentent les bases de l’apprentis­ sage du langage.

Les jeunes enfants ont besoin d’être activement impliqués dans leur apprentissage, soit intellectuellement et physique­ ment. Selon le Boston University Medical Center, les chercheurs ont découvert que les enfants âgés de moins de 30 mois n’appren­nent pas aussi bien en regardant la télévision ou les vidéos qu’en interagissant réellement avec des personnes et du matériel. Il est plus difficile à dire avec certitude si ceci est exact en ce qui con­ cerne les applications interactives. Cependant « les recherches antérieures indiquent que les multimédias interactifs, tels que les livres électroniques et les logiciels pour apprendre à lire peuvent être utiles pour l’apprentissage du vocabulaire et de la compréhension, mais seulement avec les enfants d’âge préscolaire et scolaire ». (Boston University Medical Center, janvier 2015).

La sédentarité excessive et le temps d’écran passif ont des conséquences négatives sur le développement des enfants. Il est extrêmement important de mentionner que le développement du langage est l’un des domaines qui est affecté puisque les poupons et les trottineurs sont précisément dans la phase où ils cimentent les bases de l’apprentis­ sage du langage.

De plus, pour qu’un apprentissage optimal se produise, tous les ingrédients de l’apprentissage actif doivent être présents incluant l’ingrédient essentiel, soit l’échafau­dage de l’adulte. Nous échafaudons l’apprentissage des enfants lorsque nous soutenons leur niveau de développement actuel et leur offrons de petits défis à l’intérieur de leurs jeux et explorations, lorsqu’ils sont prêts. Les écrans multimédias favorisent un style complètement opposé à l’apprentissage actif puisqu’ils éliminent les interactions à deux sens. Afin que les poupons et les trottineurs puissent s’aventurer dans un monde d’explorations et de découvertes, ils ont besoin d’un attachement stable avec une éducatrice attentive et réceptive. Entretenir une relation de qualité est la base de tout apprentissage à cet âge.

Conclusion

En résumé, les poupons et les trottineurs apprennent davantage lorsqu’ils entrent activement en contact avec de vrais objets et de vraies personnes au lieu d’utiliser des écrans multimédias. Il n’existe pas de preuves que les enfants exposés aux écrans multimédias à un jeune âge seront avantagés lors de l’apprentissage des technologies. Cependant, il y a des preuves d’effets négatifs sur l’apprentissage des enfants lorsqu’ils sont exposés de manière précoce aux écrans multimédias. Tout comme nous savons que les enfants grandiront et apprendront à faire du vélo ou à conduire une voiture, nous savons qu’ils apprendront à utiliser les écrans multimédias, et ce, assez rapide­ment lorsque leurs cerveaux seront prêts sur le plan développemental et donc disposés à apprendre de cette manière.

En tant qu’éducatrices et parents de poupons et de trottineurs, nous pouvons leur offrir des alternatives aux écrans multimédias qui seront plus avantageuses pour leur apprentissage.

Devenez membre de la communauté HighScope Québec pour accéder gratuitement à la Revue Prolongement, dont le numéro actuel contient également l'article « Trucs et astuces pour éducatrices ». Nous y abordons le matériel à usage multiple qui permet d’engager le cerveau et le corps des poupons et des trottineurs de manière intentionnelle et nous discutons également de l’utilisation sécuritaire de ce matériel.

Les cinq ingrédients de l’apprentissage actif

Pour assurer un environnement qui aide à développer la confiance, l’autonomie et l’initiative et où l’apprentissage actif peut avoir lieu, les éducatrices fournissent les cinq ingrédients de l’apprentissage actif.

  1. Matériel.Une quantité abondante de matériel approprié pour l’âge des enfants et pouvant être utiliser de diverses manières. L’apprentissage évolue en lien direct avec les actions que les enfants posent directement sur les objets.
  2. Manipulation. L’enfant a l’opportunité d’explorer (avec tous ses sens), de manipuler, de combiner et de transformer le matériel choisi.
  3. Choix. L’enfant choisit quoi faire. Puisque l’apprentissage est le résultat des tentatives que font les enfants de poursuivre leurs intérêts et leurs buts personnels, l’opportunité de choisir des activités et du matériel est essentiel.
  4. La communication des enfants, le langage et la réflexion. L’enfant communique ses besoins, émotions, découvertes et idées à travers des mouvements, gestes, expressions faciales, sons, mots et le langage des signes. Les adultes valorisent, portent attention et encouragent la communication et le langage des enfants de manière mutuellement respectueuse.
  5. L’échafaudage par les adultes. Les adultes établissent et maintiennent des relations de confiance avec chaque enfant dont ils ont la charge. Les adultes reconnaissent et encouragent les intentions, actions, interactions, communications, explorations, résolutions de problèmes et la créativité de chaque enfant.

 

Shannon D. Lockhart, spécialiste en petite enfance à la HighScope Education Research Foundation, a mis son expérience au service du développement de programmes pédagogiques et a travaillé en tant que chercheure, éducatrice, formatrice et consultante sur le plan national et international. Elle élabore des programmes pédagogiques et du matériel didactique (niveau préscolaire et poupon/trottineur), coordonne l’élaboration et les formations du programme pour poupons/ trottineurs et travaille sur plusieurs projets de recherche. Ses secteurs de compétences sont le développement de l’enfant (poupons/trottineurs et préscolaires) et l’élaboration d’outils (d’observation, d’évaluation de programmes et d’enfant). Elle a obtenu une maîtrise en éducation à le petite enfance.

Références
American Academy of Pediatrics (AAP). (2010, November). Media education (policy statement). Pediatrics, 126(5). www.pediatrics.org/cgi/doi/10.1542/peds.2010-1636.
Boston University Medical Center. (2015, January 30). Mobile and interactive media use by young children: The good, the bad, and the unknown. ScienceDaily. Retrieved from www.sciencedaily.com/ releases/2015/01/150130102616.htm.
Epstein, A., & Hohmann, M. (2012). The HighScope preschool curriculum. Ypsilanti, MI: HighScope Press. Rideout, V. (2013, October 28). Zero to eight: Children’s media use in America 2013. (Research study by Common Sense Media). Retrieved from https://www.commonsensemedia.org/zero-to- eight-childrens-media-use-in-2013.