La thérapie par le jeu

1 juin 2018

Inclure des objectifs ciblés pour des enfants ayant des défis particuliers pour mieux les intégrer dans votre local

Par Holy Delgado, éducatrice au Centre de démonstration HighScope

ÉducatriceParticipeAuJeuDeEnfant

Jared enfonçait ses mains dans la boue du bac de sable et d’eau et faisait un grand sourire chaque fois qu’il entendait le bruit que faisaient ses mains quand il les retirait. Il s’est retourné et a regardé Kara, qui a dit : « C’est comme quand j’étais à la plage. Le sable restait pris entre mes orteils. » Camille a rigolé, la boue coulant le long de son bras, et a renchéri : « Je suis allée à la plage avec ma maman, mon papa et ma sœur. C’est drôle, avoir du sable entre les orteils. » Pendant presque dix minutes, les trois enfants ont ri et les deux filles ont raconté leurs voyages à la plage, y compris une description par Camille du chalet où sa famille a habité pendant ses vacances.

Cinq mois avant le scénario précédent, Camille a reçu un diagnostic de retard du langage manifesté par des erreurs de prononciation et des interversions de phonèmes. Ses interactions sociales verbales avec les autres enfants étaient rares en début d’année. Elle choisissait habituellement les jeux solitaires ou en parallèle, et évitait les conversations. De l’avis de sa mère, Camille était frustrée par sa difficulté à être comprise, et préférait par conséquent éviter les échanges verbaux. Pourtant, ce jour-là, après cinq mois de consultations hebdomadaires avec une orthophoniste et de consultations fréquentes entre parents et éducateurs, Camille, agée de 4 ans, arrivait à raconter ses vacances avec sa famille tout en jouant dans la boue.

« Le jeu et l’engagement dans l’apprentissage actif sont essentiels à l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences pour tous les enfants d’un local intégrant des enfants ayant des défis particuliers. »

Quant à Jared, il a reçu un diagnostic de Trisomie 21 dès la naissance. Incapable de parler, il privilégiait lui aussi le jeu en solitaire. Il regardait rarement les autres dans les yeux, et évitait les interactions tout autant. Au mois d’août précédent, son attention était très limitée et il ne pouvait pas rester concentré plus de deux ou trois minutes. En ce matin de printemps cependant, après sept mois dans son local et après trois ans de plans d’intervention individuels et de services adaptés en classe (qui comprenaient des consultations fréquentes avec ses éducatrices et ses parents), Jared peut rester concentré pendant dix minutes et arrive à amorcer des interactions avec ses pairs aux moyens de contacts visuels et de sourires.

Comme tous les enfants, les trois petits mentionnés dans l’histoire ci-haut construisent leur savoir quand ils manipulent et s’engagent avec le matériel disponible dans leur environnement d’apprentissage. Le jeu les amène à manipuler le matériel qui se trouvent dans leur environnement. Cet apprentissage prend une forme différente pour chacun, les enfants se développant tous à des rythmes différents et selon leurs propres habiletés et circonstances. Le jeu et l’apprentissage actif sont des moyens incontournables de promouvoir l’acquisition de connaissances chez les enfants ayant une incapacité. En fait, le jeu qui se déroule au quotidien dans un local HighScope constitue une thérapie en soi.

La recherche a démontré que les stratégies intégrées directement dans la routine quotidienne des enfants augmentent la fréquence des activités ainsi que l’atteinte d’objectifs visés. Quand des enfants ayant des incapacités, plongés dans des environnements inclusifs, ont l’occasion d’acquérir des compétences dans le local, un environnement qu’ils connaissent bien, on n’a plus besoin de leur apprendre à généraliser des notions apprises en séances de thérapie seul à seul. Les habiletés de n’importe quel domaine sont apprises et assimilées dans l’environnement naturel de l’enfant.

Inscrire les interventions dans le cycle Planification-Action-Réflexion

Dans les locaux HighScope, le cycle Planification-Action-Réflexion favorise naturellement les enfants avec des incapacités afin qu’ils développent des habiletés ciblées.

Période de travail (action)

C’est la partie « Action » du cycle, et ces 45 à 60 minutes offrent aux enfants de nombreuses opportunités de faire des choix, de manipuler des objets, de découvrir des relations de cause à effet et d’interagir avec des enfants et des adultes. Au fil des jeux pendant la période de travail (action), les enfants approfondissent leurs habiletés dans les quatre domaines principaux : le langage, le cognitif, la motricité et le développement social et affectif. Il y a donc une forte corrélation entre le progrès dans l’apprentissage pendant les périodes de travail (action) et l’atteinte des objectifs d’un plan d’intervention individuel. Quand des enfants avec des défis particuliers participent activement à la période de travail (action), ils prennent automatiquement part à des activités qui soutiennent l’atteinte des objectifs de leur plan d’intervention.

« En jouant, les enfants construisent leur savoir quand ils manipulent et s’engagent avec le matériel disponible dans leur environnement d’apprentissage. »

Parce que leur développement est ralenti, les enfants ayant des incapacités peuvent avoir du mal à prendre pleinement part à la période de travail (action). Malgré ces difficultés, le jeu doit demeurer un processus amorcé par l’enfant, qu’il ait des incapacités ou non. Les éducateurs qui travaillent avec les enfants à besoins particuliers doivent trouver l’équilibre entre l’atteinte des objectifs du plan d’intervention et l’adhésion au processus d’apprentissage par le jeu. C’est un équilibre qui peut représenter un défi mais qui est réalisable.

Quand les interventions sont intégrées aux jeux choisis par l’enfant, sa motivation à apprendre est multipliée. Si un enfant avec des incapacités se consacre pleinement à une activité en période de travail (action), les éducatrices doivent garder le plan d’intervention à l’esprit tout en observant l’enfant. Il faut comprendre ce que l’enfant tente de faire avant de le rejoindre dans son jeu. Après un moment, on utilise le même matériel que lui, on l’utilise de la même façon, et on joue en parallèle avec lui. En encourageant le jeu de cette façon, l’éducateur préserve l’authenticité du jeu tout en rejoignant l’enfant à son stade de développement actuel et en l’incitant à en apprendre un peu plus.

« La période de travail offre aux enfants de nombreuses occasions de faire des choix, de manipuler des objets, d’interagir et de faire des découvertes sur leur environnement. »

Prenons l’exemple d’un enfant non verbal dont l’objectif au niveau du langage est de formuler des sons. S’il prend place dans le coin de blocs et joue silencieusement avec des petites autos, une éducatrice pourrait s’asseoir près de lui et faire le même jeu en parallèle, en silence. Elle pourrait progressivement imiter les sons des autos, en accentuant certains tons et certaines vibrations. En jaugeant la réaction de l’enfant par un contact visuel, ses expressions faciales, son langage corporel et ses tentatives à imiter les sons, l’éducatrice peut déterminer comment procéder avec son interaction.

La période de travail (action) ne fait pas qu’aider le développement du langage, elle offre aussi un contexte naturel où exercer la gestion des émotions. Si un enfant est régulièrement agressif, verbalement ou physiquement, quand un autre enfant s’empare d’un jouet, l’éducateur peut identifier les comportements précurseurs et déployer un plan pour aider l’enfant à gérer ces conflits. Pour aider les enfants à résoudre les conflits, les éducateurs auront besoin de ralentir le débit de leurs propres paroles, d’énoncer des phrases claires accompagnées de gestes appropriés, d’observer attentivement le langage corporel de l’enfant, et de suggérer des hypothèses de ce qui cause le conflit.
Des stratégies supplémentaires pour répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant peuvent être incorporées aux six étapes de résolution de conflits privilégiées par HighScope. Ces stratégies comprennent l’utilisation d’un support visuel comme un panneau d’arrêt ou le mot arrêt en langage des signes, et des méthodes de maîtrise de soi comme prendre de profondes respirations. Les exutoires de remplacement pour l’agression, comme une balle de stress, peuvent aider les enfants à traverser des périodes de résolution de conflit.

« Il y a souvent une forte corrélation entre les compétences acquises pendant les périodes de travail (action, jeux actifs) et l’atteinte des objectifs d’un plan d’intervention individuel. »

Si de tels comportements surviennent fréquemment, on peut faire appel aux histoires sociales (de courtes descriptions d’un événement avec des émotions et des réactions). Les enfants dont les capacités langagières et motrices sont suffisamment avancées peuvent contribuer à la création de cette histoire sociale en y ajoutant leurs mots ou leurs dessins. Trouver une occasion de présenter ces histoires au groupe, soit préventivement avant la période de travail (action) ou en réaction à un événement du même genre, peut être un outil d’apprentissage efficace.

« La période de travail (action) ne fait pas qu’aider le développement du langage, elle offre aussi un contexte naturel où exercer la gestion des émotions. »

Les périodes de planification et de réflexion

La planification arrive avant la période de travail (action) dans la routine quotidienne. C’est le moment pour les enfants d’exprimer leurs idées et leurs intentions pour la période de travail (action). La réflexion vient quant à elle après le travail ; c’est le moment de réfléchir à ce qu’on a fait et de partager ce qu’on retient des jeux de la période de travail (action). Les enfants ayant des défis particuliers peuvent tirer des bénéfices de ces périodes pour approfondir le langage, le développement social, l’auto-contrôle et la confiance en soi.

Les éducateurs peuvent préparer des stratégies sur mesure pour les périodes de planification et de réflexion, adaptés au niveau de développement des enfants et aux objectifs spécifiques de leur plan d’intervention. Par exemple, pour un enfant avec des difficultés d’élocution qui a pour objectif d’arriver à produire des consonnes en particulier, on peut présenter une marionnette associée à ces sons (une abeille pour le « z », un serpent pour le « s ») pour inciter l’enfant à imiter les sons.

On peut aider un enfant à développer sa motricité et à atteindre des objectifs spécifiques d’équilibre et de coordination en le faisant traverser un sentier de planification et de réflexion, composé de blocs de bois de différentes tailles ou d’une longue poutre sur laquelle les enfants peuvent marcher. Des accessoires comme des téléphones ou des tubes de carton peuvent aussi être utilisés aux périodes de planification et de réflexion, pour encourager les interactions des enfants tout en progressant vers des objectifs d’un plan d’intervention tels que l’amorce de conversation et savoir attendre son tour pour parler. Dans les locaux où se trouvent des enfants avec des besoins particuliers, de bonnes stratégies de planification et de réflexion auront des conséquences positives de deux façons : les planifications et les réflexions rempliront leur rôle, et les objectifs des plans d’intervention seront naturellement intégrés à la routine quotidienne.

  1. Approchez-vous calmement et arrêtez toute action blessante.
  2. Reconnaissez les émotions des enfants.
  3. Rassemblez l’information.
  4. Reformulez le problème.
  5. Demandez aux enfants de proposer des pistes de solution et proposez-en une ensemble.
  6. Préparez-vous à offrir de faire un suivi et à aider les enfants, si nécessaire.

Chaque élément de la routine quotidienne HighScope procure aux enfants un contexte prévisible et fonctionnel pour acquérir les compétences et les objectifs souhaités dans leur plan d’intervention individuel. Le jeu est l’occasion pour les éducateurs d’aiguiller le développement des habiletés, et cette idée est confirmée par la corrélation qui existe entre la réussite d’unplan d’intervention et l’adhésion à la routine du local. Dans un milieu d’apprentissage actif, les occasions d’enseigner abondent quand on ne perd pas de vue les objectifs d’un plan d’intervention. On aide les enfants avec des incapacités à atteindre leurs objectifs si on ne sépare pas ces objectifs du jeu et de la routine auxquels les enfants s’attendent.

L'auteure

Holly Delgado est une spécialiste de la petite enfance HighScope et éducatrice à notre Centre de démonstration. Elle a un diplôme en psychologie de l’université Central Michigan et une maîtrise en éducation à la petite enfance de l’université Northeastern Illinois. Elle a travaillé pendant 10 ans dans des services de garde pour enfants à besoins particuliers et cinq ans dans des classes inclu- sives de 0 à 5 ans en installation et en milieu familial. Elle est certifiée en éducation au Michigan et en Illinois et a deux ans d’expérience comme administratrice de service de garde. Elle est présentement chargée de cours au département de l’éducation à la petite enfance de l’université Madonna à Lavonia, au Michigan.

 

References
Dowling, J. L., & Mitchell, T. C. (2007). I belong: Active learning for children with special needs. Ypsilanti, MI: HighScope Press.
Evans, B. (2016). You can’t come to my birthday party! Conflict resolution with young children (2nd ed.). Ypsilanti, MI: HighScope Press.
Jennings, D., Hanline, M. F., & Woods, J. (2012). Using routines-based interventions in early childhood special education. Dimensions of Early Childhood, 40(2), 13–22.
McWilliam, R. A., & Scott, S. (2003). Integrating therapy into the classroom.
National Individualizing Preschool Inclusion Project.
Retrieved from http://www.tats.ucf.edu/docs/ Integrating_Therapy_into_the_Classroom.pdf

Pour en apprendre davantage sur l'intégration des enfants à particulier dans la routine quotidienne HighScope,  devenez gratuitement membre de la communauté HighScope Québec et consultez la Revue Prolongement, vol. 30, no 3.